Altern, 1992-2017
Dans l’indifférence générale1, un acteur majeur de l’internet francophone n’en finit plus de s’éteindre. Depuis la mi-septembre, le webmail d’Altern.org à disparu2, les comptes des utilisateurs ont étés effacés3. Le créateur de ce service, Valentin Lacambre, semble vouloir définitivement passer l’éponge sur son utopie.
Vers 1998, quand je me suis décidé à établir ma propre identité numérique, le choix d’ouvrir une adresse email chez Altern m’a paru limpide. J’ai eu à indiquer le nom d’utilisateur que je désirais, puis à définir un mot de passe, c’est tout. Cela suffisait au système pour fonctionner. Bien que je ne l’ai que peu utilisé, un espace web était offert. Ce lieu d’expression d’un nouveau genre pour moi m’a permis de m’initier au langage HTML. Altern qui militait pour un internet non-marchand n’y imposait aucune bannière publicitaire.
Liberté
Nous étions libres chez Altern. Considérés comme adultes et seuls responsables de nos contenus, nous étions pour ainsi dire en pleine possession de nos moyens. Rien ne venait entraver nos discours. Car oui, c’est l’idée d’être anonyme qui nous protégeait. Mise à part l’acceptation d’une charte de bonne conduite condamnant les actes illicites ou nuisibles à la société, nous ne pouvions que difficilement être traduits en justice. Cela à permis de nous affranchir du poids de nos êtres et de nos vies. Et c’est bien dans cette légèreté que le bât blesse. Altern, en fournissant une infrastructure technique, à été poursuivit pour avoir facilité la diffusion d’informations outrageuses envers, entre autres, Estelle Hallyday, Calimero, la RATP4,5… Au grand dam des détracteurs des libertés individuelles, la communauté Altern était capable d’autorégulation. Alors que le débat sur la responsabilité des hébergeurs émergeait, on s’écharpait devant les tribunaux sur des sujets un tant soit peu futiles. Reconnaissons-le, car il ne fut nul véritable écho d’affaires autrement plus sérieuses relevant du terrorisme, du nazisme ou de la pédopornographie.
En 2000, l’hébergement web est stoppé, les inscriptions fermés. Seul le service de messagerie persiste et il sera maintenu contre vents et marrées durant 17 ans.
L’espoir est entretenu quelques années encore avec l’apparition d’un formulaire qui autorise les changements de mot de passe et l’annonce faite par Valentin Lacambre de louer des serveurs en Norvège6.
root@altern.org
Mes locataires se retrouvant à la rue avec comme seule perspective de point de chute des boutiques clinquantes, j’ai aidé d’autres fous à ouvrir des services semblables, en donnant les logiciels et l’aide que je pouvais leur apporter. Valentin Lacambre
Le personnage de Valentin Lacambre est toujours resté ambigu. Outre le fait qu’il ait revendiqué haut et fort à son procès qu’il amassait beaucoup d’argent avec Altern, ce qui reste des propos douteux, il s’est impliqué dans une multitude de projets. D’abord avec la fondation de Gandi, une plateforme d’enregistrement de noms de domaines qui lui à effectivement permis de devenir millionnaire7. En réalité une simple tâche administrative facile à informatiser, il en a eu l’idée avec Laurent Chemla, en avait les compétences et en a profité8,9. En contre partie il entretient ses ambitions libertaires en constituant l’opérateur Gitoyen10, puis reprend le magazine fantôme Transfert.net, finance la maison d’édition Danger Public11 et devient actionnaire de Politis12. Il participe aussi à LocalGix, une association oubliée promouvant une décentralisation d’internet13 et s’approchera du domaine de l’agriculture non-conventionnelle avec un projet avorté qui mettait en avant la commercialisation de semences biologiques14. Sur son blog, Des robots et des fleurs, il s’y exprime que rarement. Un libriste dans l’âme15, sans doute un peu brouillon, qui ne refuse pas l’argent pour survivre. Il ne sera ni le premier, ni le dernier à se situer dans cette position.
Essaimage
Tout le génie d’Altern demeurait dans une interface de gestion codée en PHP. Un logiciel qui simplifiait grandement l’administration des utilisateurs et des services. En 2001, Valentin Lacambre propose à tout en chacun de cloner ce dispositif16 qui s’appuie sur Debian et qu’il à baptisé AlternB. Il livre ainsi dans le domaine public ses propres outils. Plusieurs acteurs s’intéresseront à cette démarche et la feront évoluer en participant activement au développement d’AlternC. En 2010 on estimait que plus de 110 hébergeurs utilisaient et contribuaient au projet, parmi lesquels : Globenet, Ouvaton, l’Autre Net, Domaine public, Koumbit, Octopuce et Neuronnexion. En somme, nous trouvons là tout un pan de l’internet actuel, ouvertement motivé par la solidarité et l’éthique vis à vis des utilisateurs, qui est redevable de l’aventure Altern.
Une requête whois sur le nom de domaine d’Altern fixe son expiration à mai 201817. À l’heure ou j’écris ces lignes on ne peut s’empêcher de penser : « Altern est fini. Aura-t’il la force de renaître de ses cendres ? ».
Bibliographie :
- Chantal Bernard-Putz et Benjamin Sonntag, AlternC comme si vous y étiez, In Libro Veritas, 2011 (Lire en ligne)
- Georges Chatillon, « La responsabilité des fournisseurs d’hébergement : l’Affaire Altern.Org », sur Université Paris-I Panthéon-Sorbonne
- François Came, « L’Internet facile, sur Minitel… avec 3616 Altern », Libération, 14 avril 1995 (Lire en ligne)
Notes et références :
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Se référer à l’erreur 404 sur http://altern.org/squirrelmail/src/login.php. ↩
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Aux emails envoyés, le mailer deamon du serveur mx.altern.org répond invariablement : « Recipient address rejected, User doesn't exist ». ↩
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Benoît Tabaka, « Les hébergeurs protègent-ils encore la liberté d’expression sur internet ? », sur Un petit blog sur le e-commerce. ↩
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Valentin Lacambre, « Défense de altern.org », sur Altern.org. ↩
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Valentin Lacambre, « Altern.org déménage ses services en Norvège. », sur Des robots et des fleurs. ↩
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Marc Rees, « Le nouveau propriétaire de Gandi est… », Next INpact, 1er septembre 2005 (Lire en ligne). ↩
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Cyril Fievet, « Entretien avec Valentin Lacambre et Laurent Chemla », Internetactu.net, 29 juin 2005 (Lire en ligne). ↩
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Samuel Tardieu, « Mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec Gandi ? », sur rfc1149.net. ↩
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Marie-Joëlle Gros, « Le “Gitoyen” contre le web commercial », Libération, 20 février 2001 (Lire en ligne). ↩
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Nicolas Gurgand, « Valentin Lacambre : Riche par accident », Le Point, mars 2002 (Lire en ligne). ↩
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AFP, « L’hebdomadaire “Politis” sauvé par la générosité financière de ses lecteurs », Le Monde, 15 novembre 2006 (Lire en ligne). ↩
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Capucine Cousin, « Des associations veulent décentraliser Internet en province », Les Échos, 26 février 2005 (Lire en ligne). ↩
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Anne Laforet, « Valentin Lacambre, du logiciel libre aux plantes libres », Poptronics, 2 novembre 2014 (Lire en ligne). ↩
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Aude Fredouelle, « Après Internet, je suis en train de chercher la prochaine révolution ! », Le Journal du Net, 2 octobre 2014 (Lire en ligne). ↩
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Valentin Lacambre, « Copies de altern.org », sur Altern.org. ↩
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Se référer aux informations whois du Hurricane Electric BGP Toolkit. ↩